jeudi, août 17, 2006

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Marc B. : D’abord en un mot : votre réponse, son ton, ses accents sont justifiés. Quand " la maison brûle ", on appelle, voire on crie, ce mode de " communication " est adapté sans doute aussi à l’urgence de notre temps. Votre texte se suffit à lui-même, il est explicite.
Maintenant je peux répondre à votre question. Oui, il y a des signes avant coureurs qui évoquent la possibilité pour certains de vivre cette utopie dont vous nous parlez ci-dessus. Ces signes ne sont pas tant dans l’analyse anthropologique/interculturelle que dans l’examen ordinaire des conditions matérielles de ce temps.
Et c’est paradoxal : ce monde hyperindustrialisé, urbanisé, compétitif, en croissance perpétuelle, soumis aux règles du profit et qui épuise la terre, est aussi ce qui peut permettre à des ermites des temps modernes de vivre simplement et aisément leur utopie ! D’abord en les y poussant par une réaction naturelle, et je crois que vous l’avez bien évoqué. Mais aussi en leur fournissant des moyens bon marché et accessibles à toutes les bourses : de bonnes couvertures, des vêtements chauds, de bonnes chaussures, des chaussettes en abondance, une paire de bottes, un bonnet de laine, un réchaud, une vieille caravane à côté de l’ermitage (cf. la photo de votre blog), une bicyclette. Tous ces biens produits aujourd’hui en quantité industrielle ne sont pas trop chers, et l’ermite peut aussi se les offrir. Cela semble aller de soi, pourtant c’est une des conditions de la vie érémitique, que curieusement la surproduction du consumérisme industriel permet de satisfaire.
Mais il y a mieux. Récemment j’ai été invité à visiter l’ermitage d’un couple allemand. C’est un beau terrain face au Puy de Dôme, une vue à couper le souffle. Monsieur a sa roulotte en bois, Madame sa vieille et grande caravane. Une salle de bain carrelée toute simple avec douche a été aménagée contre la grange. J’ai constaté que la caravane recevait une ligne de téléphone et m’en suis enquis : c’est non seulement le téléphone mais aussi le haut débit internet. Et nos amis ne sont pas coupés du monde lorsqu’ils en ont besoin. Leur ordinateur Macintosh d’occasion leur permet de communiquer à leur guise depuis l’humble caravane perdue dans la nature.
Haut débit, Internet, ordinateur, la liste des outils utiles (je n’ai pas dit indispensables) à l’ermite ne s’arrête pas là : à l’avenir il y aura des panneaux solaires, des éoliennes individuelles, des systèmes de stockage électrique à régulation automatique pour la maison, c'est-à-dire aussi pour l’ermitage. Ils seront, comme tout le reste, produits en quantité industrielle, à bas coût, et deviendront de plus en plus accessibles au pouvoir d’achat de l’ermite, neufs ou d’occasion.
Plus tard on peut le supposer, voire l’espérer, ce sera l’heure des voiturettes propres, comme celles qu’on trouve déjà sous forme de prototypes sur
http://www.moteurnature.com/ . Mais n’anticipons pas.
C’est donc un énorme paradoxe : ce qui paraît à juste titre développement suicidaire mondialisé et aussi ce qui permettra aux ermites des temps modernes de mieux en mieux s’installer et d’envisager une vie autonome, supportable, soutenable, naturelle, significative, interconnectée et communicative. Comment voyez-vous ce paradoxe ?
Mais j’ai une autre question pour vous. Lorsque je me promène ici ou là, à Kuala Lumpur, Taipei, Tokyo ou Séoul, je ne peux m’empêcher de me laisser emporter par le flot de " l’euphorie perpétuelle " dont vous nous avez parlé. Cette foule juvénile et joyeuse, optimiste et courageuse me fait partager ses valeurs sans rien m’en dire : il y a beaucoup d’efforts, beaucoup de travail, beaucoup de don de soi, derrière ces mégalopoles de verre et d’acier. Et cela m’impose le respect pour tous ces gens qui parient ensemble quand même sur un avenir partagé, même s’il est si fragile. Alors vous arrive-t-il vous aussi de trouver que le monde moderne, si imprévoyant de son propre avenir, a sa beauté et sa grandeur, sa dignité et ses valeurs ? Ses foules sentimentales et sérieuses vous inspirent-elles parfois comme à moi un zeste d’une irrépressible tendresse qui s’impose alors comme l’essentiel de ce qui sera à retenir de ce temps et de ses éphémères conquêtes matérielles ?
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F. Félix : Comme vous, j’ai été sensible à la jeunesse asiatique enthousiaste et laborieuse. En Chine, à CHENGDU dans le SICHUAN, une étudiante s’était passionnée pour le romantisme français. C’était attendrissant et assez flatteur. Dans les mégalopoles d’Asie les traditions et la modernité se côtoient joyeusement. La capacité d’intégration des asiatiques est peut-être porteuse d’un renouveau mondial. J’aimerais croire à l’avènement d’un monde meilleur.
Mais comment oublier AUSCHWITZ ? Le crime contre l’humanité a été froidement planifié par des personnes intelligentes, cultivées et éduquées selon des valeurs chrétiennes. Depuis 1945, les génocides n’ont pas cessé : Cambodge, Yougoslavie, Rwanda… Les guerres, les injustices sociales, la pollution entretiennent un climat apocalyptique. Des millions d’humains attendent leur seigneur de la guerre sainte, le MAHDI des musulmans, le roi de justice des chrétiens, le dixième AVATARA des hindous, KALKIN grand exterminateur de Mlécchä comme son homologue du bouddhisme tantrique, le roi de SHAMBALA. Les livres sacrés des plus grandes religions du monde prophétisent l’instauration de leur théocratie après une hécatombe sans précédent.
D’après le LINGA PURANA (chap.40) : " Durant la période de crépuscule qui termine le Yugä, le justicier viendra et tuera les méchants. Il sera né de la dynastie de la lune. Son nom est " Guerre " (Samiti). Il errera sur toute la terre avec une vaste armée. Il détruira les Mlécchä (les barbares de l’Occident) par milliers. Il détruira les gens de basse caste qui se sont saisis du pouvoir royal et exterminera les faux philosophes, les criminels et les gens de sang mêlé. Il commencera sa campagne dans sa trente-deuxième année et continuera pendant vingt ans.
Il tuera des millions d’hommes, la terre sera rasée. Les gens s’entre-tueront furieusement. " (Alain DANIELOU " Le destin du monde d’après la tradition shivaïte ")
Le 11 septembre 2001, J’étais dans un pays musulman. Je parcourais la Malaisie et l’Indonésie (Sumatra et Java). A plusieurs reprises, des gens de la rue exprimèrent leur contentement au sujet de la destruction des tours jumelles de New York. Sur les marchés on vendait des tee-shirts et des posters à l’effigie de Ben Laden. Le terroriste était souvent représenté sous l’apparence du Mahdi. Ces manifestations d’agressivité, les nombreux attentats qui suivirent et le fanatisme exaltant le " martyr " religieux de jeunes kamikazes doivent-ils nous faire craindre un choc des civilisations ? Le monde du début du 21ème est-il plus belliqueux que religieux ? On l’oublie trop souvent, il existe bien un bellicisme religieux, un prophétisme des guerriers de l’apocalypse. Des bouddhistes, réputés pacifistes, sont convaincus que le dharma sera rétabli par les forces armées du roi de Shambala, selon les prophéties du Kalachakra tantra. Les prophéties sont souvent exploitées pour manipuler les populations. Les nazis utilisèrent des prophéties obscures qui annonçaient le retour de l’empereur Frédéric Barberousse et l’union de l’Orient et l’Occident après de terribles guerres. L’attaque nazie contre la Russie fut baptisée " plan Barberossa ".
Une critique moins pessimiste serait agréable à lire. Je suis persuadé que votre regard sera plus radieux que le mien.
Votre observation, au sujet de l’usage caritatif de la surproduction de biens, est fondée. Des personnes survivent dans l’exclusion involontaire et apprécient cette surabondance de biens et d’aliments bon marché.
L’exemple alimentaire est significatif, les néo-ruraux, les marginaux écolos, les adeptes de la vie saine évitent d’acheter les aliments industriels. Dès les années 1920, les pionniers de l’alimentations naturelle avaient stigmatisé les méthodes modernes de production des aliments. Des coopératives bio et des réseaux associatifs distribuent les produits naturels. Le mouvement alternatif préconise l’autarcie depuis des décennies. Dans le domaine de l’édition des manuels de l’anti-consommateur, le " Catalogue des ressources ", " Les fiches écologiques " de Daniel FARGEAS, par exemple, enseignent comment fabriquer des poêles, séchoirs solaires, cuisinières à bois, savon, pain, vêtements… Les W.-C. actuels et le gaspillage de l’eau sont décriés depuis plus de trente ans, les écolos utilisent des toilettes sèches. Toutes les certitudes du confort moderne sont revues et corrigées. Le Système d’Echange Local procède au troc des échanges de biens ou de services sans avoir recours à la monnaie traditionnelle.
Le consumérisme fait penser à un pays de cocagne illusoire. Malgré la profusion de marchandises bon marché, il est souvent plus intéressant de se contenter d’un minimum d’articles utiles et de qualité. Le coût plus élevé des articles de facture artisanale est très relatif si l’on considère leur longévité. Le prix attractif des marchandise jetables participe au gaspillage et à la pollution. Pour autant, il ne s’agit pas de retourner à la société pré-industrielle. Actuellement, comme vous l’indiquez, de nombreuses innovations techniques permettent de limiter la pollution et de rendre autonomes en énergie les néo-ruraux, les ruraux et les urbains. La technologie des énergies douces devrait se développer dans l’avenir. Il est plus important de s’équiper de ce type de matériel que de s’encombrer d’appareils électroménagers peu onéreux mais superflus.
La société de consommation ne commercialise pas encore un habitat autonome pour environ cinq cents euros. Les libertaires disent qu’il est possible de faire une construction écologique à ce prix.
http://ecolib.free.fr/page06.html Les réseaux de solidarité offrent une alternative à la grande distribution afin de répondre aux besoins essentiels. Ils créent des activités indépendantes, un artisanat à temps partiel ou saisonnier. Activités qui demeurent souvent clandestines à causes des charges patronales considérables qu’un néo-artisan libre, peu soucieux de rentabilité et de chiffre d’affaires, ne peut payer.
La vieille caravane de la photo du blog consacré aux joies de l’érémitisme
http://bouddhanar-3.blogspot.com/ est une erreur de débutant en autonomie. (La caravane appartenait à l’ancien propriétaire du terrain.) La bio construction est préférable à la récupération de mobils homes ou de caravane :
http://www.lamaisonenpaille.com/
Les anachorètes écrivains de la THEBAÏDE (4ème siècle) rédigeaient probablement leurs textes à la lumière des lampes à huile, une sorte de " high tech " de l’époque, bien supérieure aux techniques d’éclairage primitives comme la flamme éphémère d’un bout de bois résineux. Les ermites chrétiens sont des ascètes qui s’efforcent d’acquérir la perfection et la sainteté. Leur école est assez triste car elle préconise les jeûnes, les veilles, les mortifications. L’école buissonnière de l’érémitisme joyeux n’exclut pas les plaisirs et le cartable électronique rempli de quelques objets nomades : lampe solaire et ordinateur portable. Un ami ermite et écrivain accepte volontiers la lampe solaire mais voue l’ordinateur et Internet à la damnation éternelle. Il préfère sa vieille machine à écrire et refuse la possibilité de télécharger gratuitement une bibliothèque entière grâce à Internet.
Les paradoxes ne manquent pas dans nos sociétés. L’économie de marché permet d’acheter un ordinateur portable à un prix accessible à tous et d’organiser sur Internet la résistance contre le consumérisme. La science allonge la durée de la vie et consent à créer des armes de destruction massive. Il n’est pas inconcevable de mettre un peu de nature dans de belles cités écologiques, conviviales, moins bruyantes et respirables. Malheureusement, les milieux dominants ne se soucient pas de la qualité de vie des masses laborieuses. Le travailleur est moins dupe et n’hésite pas à vilipender ses maîtres et les oligarchies en rêvant d’exode urbain.
A proximité de mon domicile, un centre tibétain a fait construire un énorme temple de béton, sa silhouette enlaidit la nature. La nature est un temple merveilleux. " On apprend, disait Bernard de CLAIRVAUX, plus de choses dans les bois que dans les livres : les arbres et les rochers vous enseigneront ce qui ne se dit pas ailleurs, et vous verrez par vous-même qu’elle joie descend de ces montagnes. ". L’école de méditation tibétaine n’est guère sensible aux problèmes environnementaux. Les lamas en dépit de leurs savantes techniques spirituelles, qui prétendent ouvrir un troisième œil extralucide, ont fait installer un chauffage au fuel dans leur blockhaus sacré. Les méandres du lamaïsme sont déconcertants.
Le retour de bons sauvages, coureurs des bois, est une belle utopie nomade découverte grâce à Internet :
" La Famille Rainbow est un mouvement utopique idéaliste avec la vision d’un monde guidé par l’Amour et la coopération, sans violence ni compétition. C’est la vision égalitaire d’un monde sans dirigeants, sans oppresseurs ni peuples opprimés. La Famille est décentralisée avec des Rassemblements et des événements dans le monde entier. Il n’y a pas d’organisation centrale qui puisse être subvertie ou détruite. C’est un mouvement et non une organisation. Sa force réside dans les individus qui font les Rassemblements. (...) Les Rassemblements européens célèbrent la diversité culturelle et se moquent des frontières. "
http://frenchrainbow.free.fr/idees/textes/people.html
Les quelques lignes ci-dessus exorcisent les sinistres eschatologies religieuses. Les escapades libertaires du mouvement Rainbow sont séduisantes. Le mode de vie érémitique sédentaire et tranquille paraît bien pantouflard à côté des chemineaux de ce mouvement. Connaissez-vous cette utopie nomade qui remonte aux années 70 ?

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